Par Emmanuel Guez et Morgane Stricot, 2015.
Depuis 2014, le PAMAL travaille sur L’Angelino de l’artiste Albertine Meunier. C’est une petite danseuse dans une bouteille d’alcool vidée de son contenu. À chaque fois que le mot ange apparaît sur Twitter, la danseuse se met à tourner avec une petite musique. Un ange passe sur Twitter. L’œuvre est connectée au réseau par l’intermédiaire d’une carte Arduino et d’un câble Ethernet. La détection des tweets contenant le mot clé « ange » se fait grâce à l’API REST mis à disposition par Twitter. Outre les traditionnelles fragilités matérielles, s’ajoutent les mises à jour des codes de programmation ainsi que les technologies de communication conçues par et pour Twitter.
Un an après sa création, en 2009, le réseau social change son API. L’artiste doit alors rappeler ses œuvres pour en changer le code, comme Toyota rappelle ses voitures défectueuses. En 2012, Twitter modifie de nouveau son API… La première version du programme Arduino, basée sur l’ancienne API a cessé de fonctionner le 11 Juin 2013. La nouvelle API, v1.1, requiert alors une authentification. Sous couvert de sécurisation, la compagnie protège son API et la rend, par concours de circonstance, rémunératrice. Aspirateur de données, la procédure d’authentification est l’une des clés de l’économie de la data.
L’authentification demandée par la nouvelle API de Twitter est plus compliquée que la précédente et nécessite un code très long. Trop long pour l’Arduino. Le problème, qui était à première vue logiciel, devient un problème matériel. La solution a été de créer un script PHP sur le serveur de l’artiste qui effectue la requête, analyse la réponse JSON et affiche le résultat de la recherche. Il suffit enfin de faire la connexion entre l’Arduino et le serveur. Mais pour combien de temps règle-t-on le problème ?
Il ne s’agit pas ici seulement d’une question technologique. Jadis le sort des œuvres d’art dépendait des événements politiques ou religieux. Il dépend aujourd’hui des stratégies industrielles et économiques. Il est tout à fait possible qu’un jour prochain le site Twitter disparaisse, à l’instar de sites Web très populaires au début des années 2000 tels que Geocities ou Friendster, ce qui signifierait alors la mort clinique de l’Angelino. Jamais l’art n’a été aussi dépendant des conditions de production industrielle et, pourrait-on ajouter, de l’état du capitalisme. L’écosystème de l’Angelino est donc fragile, comme certains écosystèmes amazoniens, détruits par la main de l’homme. Nous avons choisi précisément cette notion d’écosystème en raison de l’idée de fragilité qu’elle contient.
Mais au lieu de tricher, l’œuvre d’Albertine Meunier revendique cette vulnérabilité. Le collectionneur sait que l’œuvre très vite cessera de fonctionner. C’est en ce sens que la technique n’est pas réductible à une logique de l’outil interchangeable. L’œuvre numérique continue de posséder une force esthétique, historique, technique, médiarchéologique, alors même qu’elle ne fonctionne plus, précisément parce qu’elle raconte la disparition d’un écosystème. Pour des raisons média-techniques et ontologiques, il est absurde de vouloir procéder à un acharnement thérapeutique qui contribuerait à distinguer le hardware du software, et à distinguer l’art de l’industrie qui l’a rendu possible.