Fonds Marker – Cinémathèque Française

Par Morgane Stricot

La Cinémathèque Française a acquis, à la mort de Chris Marker, l’ensemble de son archive et notamment sa mémoire informatique. L’étude du PAMAL s’attache essentiellement à la sauvegarde des 805 disquettes 5.25 du fonds qui se rapportent à l’œuvre mais aussi à la vie de Chris Marker. Ce fonds est attaché à la première période informatique Apple II avec les réalités informatiques et difficultés liées aux supports, aux machines et programmes de Chris Marker que cela implique.

Le cas de ce fonds est susceptible de s’avérer exemplaire pour l’histoire de l’informatique et de la création numérique. La conservation de ce type de contenus n’a jamais été mise en œuvre auparavant dans aucune institution française. Nous nous sommes donc concentrés sur l’élaboration d’une procédure pouvant servir pour d’autres fonds de même nature. La spécificité de ce fonds, néanmoins, est le fait qu’il révèle d’environ 15 années de culture informatique attachée à une machine précise – l’ordinateur Apple II – aux possibilités techniques et technologiques développées par Apple à partir de 1977, ainsi qu’à une culture identifiable et remarquable.

L’étude débute en 2014 avec un premier inventaire du fonds, suivi, en 2015, d’une constatation, au sein des réserves de la Cinémathèque Française. Après avoir constaté un échantillon représentatif de 25%, soit environ 200 disquettes, plusieurs hypothèses sont émises sur la méthodologie de classement ainsi que le contenu de ces supports. Une constatation visuelle de l’état de la jaquette ainsi que de l’intégralité de la surface magnétique des disquettes sous lumière blanche directe et rasante, met en évidence des dépôts, rayures et taches d’hydrolyse sur la surface magnétique, suite à une réaction chimique à l’eau ou à des postillons, allant jusqu’à la décoloration voire la perte de la couche pigmentaire. Ces altérations sont potentiellement critiques pour la lisibilité des disquettes puisque contrairement aux bandes magnétiques vidéo ou audio, à la lecture des supports informatique de stockage magnétique, le lecteur ne peut pas reconstituer par conjoncture les zones endommagées ou illisibles. S’il y a une zone de perte, l’information dans sa totalité est perdue.

En janvier 2017, PAMAL organise un workshop afin de mettre en place un protocole de traitement et de sélection de ces supports physiques en vue de leur lecture puis de leur copie. La constatation ainsi que la définition d’un niveau de lecture prévisionnel permettant de sélectionner les disquettes constituent la première étape essentielle de la chaîne de numérisation. Les disquettes altérées représentant alors un risque non négligeable d’endommager le lecteur et les disquettes subséquentes sont retirées de la chaîne.

La recherche d’une méthode d’acquisition fiable est développée lors d’un deuxième workshop en mars 2017. Le fonds Chris Marker est vraisemblablement constitué presque exclusivement de disquettes 5.25 dites « flippy », propriétaire des doubles lecteurs Apple II de série qui sont des lecteurs simple tête, c’est-à-dire que l’on retourne physiquement la disquette pour lire la deuxième face. Ce lecteur comporte deux cellules photoélectriques lui permettant de détecter le trou d’indexation dans les deux positions (à gauche puis à droite lorsque l’on retourne la disquette). Au contraire, un lecteur double tête ne comporte qu’une cellule photoélectrique permettant de détecter le passage du trou d’index et lit les deux faces de la disquette simultanément. Dans le cas d’une disquette dites « flippy » il est donc impossible pour ce lecteur double tête de lire la deuxième face. La modification de l’alignement des têtes d’un lecteur de disquette double tête afin qu’il lise les disquettes en « flippy mode » est envisagé mais l’opération n’a pas été tentée au risque de détruire le seul lecteur double tête fonctionnel en notre possession.
Nous avons donc commencé par coupler l’Apple IIe équipé d’une carte super série et d’un double lecteur d’origine avec un ordinateur moderne par l’intermédiaire d’un logiciel appelé ADT Pro (Apple Disk Transfert Pro) et d’un adaptateur pour faire la connexion entre les deux machines afin de créer des images disques à partir des disquettes physiques.
Une autre méthode consiste à émuler une disquette vierge afin de faire une copie droite de chaque face dites “flippy” directement au format numérique avec l’Apple IIe suivant l’environnement requis par la disquette (en émulant soit ProDos, soit DOS 3.3). Il s’agit d’ajouter un émulateur de lecteur de disquette à l’Apple IIe grâce au boitier Floppy Emu Delux Bundle.

La première méthode permet d’obtenir une image disque au format .dsk exploitable en 20 à 30 secondes. Il s’agit de notre meilleur option, malgré un inconvénient majeur : la dépendance au matériel Apple IIe. En effet, un risque de défaillance des lecteurs est à prendre en compte, ce qui pourrait endommager une ou plusieurs disquettes pendant la copie. Une disquette altérée ou défectueuse peut également endommager les lecteurs, c’est pourquoi un constat d’état est impératif avant d’en faire la lecture en environnement Apple.

En avril 2017 puis janvier 2018, deux autres workshops permettent la mise en œuvre de la chaîne de numérisation grandeur nature sur le fonds. Un premier objectif d’une centaine de disquettes est fixé. Les premiers résultats nous permettent déjà d’apprécier la teneur du fonds et l’efficacité de la méthode d’acquisition. D’un point de vue historique, il est devenu clair que l’apport de ces disquettes est majeur, comme par exemple les divers enregistrements de revues ou messageries sur Minitel comme Apostrophes ou Gretel dont il ne reste guère de traces dans les institutions françaises.